Gouaro Deva, succinct historique

Nous présenterons rapidement les tribus de la commune de Bourail, puis l’acquisition de Gouaro Deva pour ensuite évoquer les temps anciens et la forteresse de Mouéara. Nous n’oublierons pas le phare de Guaro, lien entre la terre et le lagon.

Bourail comporte six tribus

Carte de Bourail

Le petit chef de Pothé, Raymond Aï, estime qu’ « En 1850, les tribus kanak installées dans la région de Bourail sont nombreuses et dispersées de Table Unio à la Daoui. Les kanaks vivent agglomérés par villages – dites tribus plus ou moins importantes. Deux peuples vivent dans le bassin – les Oröwe (ceux de la montagne) et les Nekou (ceux du bord de mer).
Non loin du confluent de la Courie, un endroit sert de marché d’échange entre Mélanésiens du bord de mer et ceux de la montagne. Ce marché s’appelle « piré ». C’est un lieu tabou. Il en existe un autre, au lieu dit « Néméara », non loin de la chapelle. La vie est rythmée par les guerres, les coutumes, les plantations, la pêche, la chasse, les fêtes, les échanges, les mariages … »

 

Bourail s’écrit en langue ajië, Bu Rhai et signifie la queue du lézard.
Il y a aujourd’hui seulement 6 tribus à Bourail : Gouaro en bord de mer ; Ny, Pothé, Azareu et Bouirou situées en bord de chaîne ; Ouaoué dans la vallée de la Boghen. Ces six tribus dépendent de l’aire coutumière Ajië-Arho. Il existe de nombreux contes et légendes racontés par les anciens. On dit qu’au pied du Bonhomme de la Roche Percée existe un tourbillon appelé la marmite. Les esprits des morts s’y jettent pour rejoindre le village des morts situé sous l’eau. Le bonhomme serait le chef de cette tribu habitée par les esprits des anciens.

Gouaro possède depuis des temps immémoriaux une tribu. En 1868, ses guerriers participent à la répression des tribus de la montagne. Charles Lemire décrit Gouaro, le débarcadère de Bourail, en 1877 : « De belles routes sillonnent l’établissement de Bourail. Celle qui conduit à Couaro (Gouaro) est très pittoresque. Elle a 13 kilomètres de long. Couaro est le débarcadère de Bourail. Les eaux se sont frayées un passage à travers un mamelon s’avançant dans la mer, et qui a pris le nom de Roche-percée. De ce point, les chalands de plusieurs tonnes remontent avec la marée jusqu’à un kilomètre de Bourail. On va relier Bourail au débarcadère du bord de la mer par un tramway».

Gouaro Deva est acquis par la province Sud en 1992

Cette année là, la Province Sud fait l’acquisition, pour 325 millions de F CFP (2,7 millions d’euros environ), d’une propriété de plus de 7 700 hectares, dite de Gouaro Deva, sur la commune de Bourail. Ce domaine disposait d’un fort potentiel économique (notamment touristique et agricole, mais nécessitait d’importants travaux d’irrigations. Il possédait aussi une forte réserve en sable utile pour l’industrie et une forte valeur historique (insurrection kanak de 1878) et symbolique pour les Mélanésiens du clan Gouaro (sépultures de la Vallée tabou). Celui-ci revendiquait d’ailleurs cette terre depuis 1984.

La Vallée Tabou

Périmètre du domaine de Deva et zone classée de la Vallée Tabou

En décembre 2003, l’Assemblée de la Province Sud accepte la vente de ce terrain en deux parties. Cette vente est immédiatement critiquée par des membres des clans mélanésiens locaux, mais aussi par des éleveurs des environs et une partie de la population bouraillaise. Cette décision est remise en question dès l’arrivée au pouvoir en 2004 du parti l’Avenir ensemble qui décide de conserver Gouaro Deva dans le domaine provincial.

Puis, la province Sud met en place une société mixte et un projet de hôtellerie touristique de qualité avec la chaîne Sheraton. La pose de la première pierre du complexe hôtelier cinq étoiles sous enseigne « Sheraton Nouvelle-Calédonie Bourail Resort & spa » a lieu le 19 mars 2011. L’hôtel est ouvert depuis 2014.

Gouaro Deva, une riche histoire pré-européenne

Le domaine de Deva possède un patrimoine archéologique très riche. Les curieux et les passionnés d’histoire ont pu en 2014, lors du festival des Couleurs de Deva, découvrir un lieu riche de vestiges archéologiques et symboliques de la révolte kanak de 1878-1879 : la Vallée Tabou. Il faut un peu de patience pour accéder à la Vallée Tabou, située sur le domaine provincial de Deva. Cette zone qui s’étend sur 1 000 hectares a été classée au titre des sites et monuments historiques de la province Sud par l’arrêté 3929-2011/ARR/DC du 20 décembre 2011.

Devant un minuscule cours d’eau, laissons nous guider par Bealo Gony, ethnologue de l’Institut d’archéologie de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique (IANCP). «Il y a mille ans, la rivière de Deva devait être bien différente et des petites pirogues devaient la remonter jusqu’ici depuis l’embouchure. » Les vestiges de tarodières, de champs d’ignames et de tertres de cases sont visibles au sol dans ce qui est aujourd’hui un marais. « Regardez bien ici, cette forme circulaire, c’était l’emplacement d’une case ». Á quelques encablures : « observez ces formes allongées ou en croissants, ces vagues sur le sol qui sont trop régulières et similaires pour être naturelles et bien ce sont des billons d’ignamesL’occupation de la Vallée Tabou s’étale du Ve au XVIIIe siècle après J.-C environ. On estime que plusieurs centaines de personnes vivaient ici, en petits hameaux regroupant parfois plusieurs dizaines de cases. Nous avons trouvé des sépultures dans les formations rocheuses. Les rites funéraires variaient selon la typologie des paysages. Sur le domaine de Deva, on observe plusieurs rituels d’ensevelissement et de traditions funéraire. Au bord de mer, les corps étaient enterrés en position assise ou allongée. D’après la tradition orale, dans les vallées et les zones montagneuses, ils étaient enveloppés dans des tapa ou des nattes et déposés dans les cavités rocheuses ou dans les racines de banian. Á cette époque, il n’y avait pas d’animaux qui risquaient d’abîmer les dépouilles. »

L’ethnologue continue ses explications en montrant un amas coquillier (bénitier, trocas, palourdes etc.). Ces coquillages faisaient partie du régime alimentaire des anciens occupants des lieux. Bealo Gony prend ensuite pierre légèrement incurvée. Elle était certainement utilisée comme outil pour travailler le bois. Á terme, un site archéologique de l’entrée de la vallée Tabou sera restauré. Il permettra de présenter la société kanak lors des premiers contacts et l’histoire tragique de l’attaque de la « forteresse » du haut de la vallée Tabou les 3 et 5 janvier 1879.

La forteresse de Mouéara

En 1878, se sont les tribus du bord de mer qui subissent une terrible répression, à la suite de l’insurrection d’Ataï. Le village de Bourail s’est considérablement agrandi, couvrant le flanc des collines alentour. Les concessions se sont étendues et peuplées. Les établissements de la Pénitentiaire se sont multipliés et dispersés. C’est dans ce contexte d’expansion et d’enracinement, et sans doute également à cause des frustrations nées des promesses non tenus par l’administration coloniale lors de l’expédition de 1868, que l’insurrection kanak lancée au mois de juin, depuis la vallée de la Fonwhari, vers La Foa et Boulouparis gagne la tribu de Gouaro. Ce ralliement à la rébellion intervient quelques jours après la mort d’Ataï, tué le 1er septembre 1878.

Gouaro et les autres tribus du littoral, qui sont les principales touchées par les dépossessions, se soulèvent. La garnison étant sur ses gardes, l’effet de surprise ne peut plus jouer. Un rapport du 11 septembre 1878 précise : « [ ] Après la défection des tribus de Néra, Nessadiou et Guaro, la défense du pénitencier [… ] et de ses environs a été solidement organisée. Le plateau occupé habituellement par la garnison [… ] a été fermé par une forte palissade qu’une troupe de 30 hommes peut facilement défendre. [… ] Dans l’usine et la gendarmerie se trouve réparti un contingent de 60 hommes d’infanterie. Les trois vallées de Néméara, Pouéo et Boghen sont fermées par [… ] des ouvrages établis sur des points bien choisis et défendus par le peloton Forcioli, comprenant en tout 60 condamnés armés. Le poste de Guaro à l’embouchure de la Néra est défendu par la compagnie de débarquement de la Sendre. [ ] L’aviso le Lamotte-Picquet est mouillé dans une baie située en face du poste. Les colonnes mobiles chargées de parcourir les routes des concessions et de faire les reconnaissances militaires [… ] se composent de 35 hommes d’infanterie, de 70 libérés, de 40 Arabes, et enfin d’un corps auxiliaire de 27 cavaliers, colons libres et concessionnaires. [… ] Toutes les femmes et tous les enfants sont placés sous la protection d’un poste et réunis dans un bâtiment commun. »

Le Phare de Gouaro

La campagne du Cap Goulvain a lieu du 3 au 12 janvier 1879. Le 3 janvier 1879 des insurgés réfugiés à la Vallée Tabou, connue sous le nom de vallée de Mouéara, sont surpris par un détachement commandé par le lieutenant Le Vaillant de Vaux-Martin. La patrouille comprend 50 auxiliaires de la tribu de Ni. Le détachement rencontre de « grands campements » dont les membres fuient vers la vallée de Mouéara. Là, des insurgés armés de carabines snipers (volés sur la station Houdaille) tuent deux auxiliaires. La patrouille se retire. Une femme kanak de Bouirou est capturée et elle indique que la plupart des insurgés de Poya et de Bourail se sont réfugiés dans ce que les officiers appellent désormais la « forteresse » de Mouéara. Il s’agit d’une « vallée encaissée entre deux croupes » et formant « un ovale très allongé », « pleine de rochers d’un effet très pittoresque ». La vallée est boisée, « couverte d’arbres et de brousses qui en font un fouillis inextricable ». Sur ses lisières, « les Canaques avaient construit une série de petits murs en grosses pierres disposés d’une façon très intelligente et qui leur permettaient de voir et de tirer, tout à leur aise, en restant à l’abri ».

Forteresse

Le 4 janvier, le gouverneur Olry, qui était alors à Bourail, décide d’armer quarante auxiliaires Honrôés avec des chassepots. Ce sont des gens de la montagne, tribus de Ni et de Quicoué, qui  s’étaient opposés à la colonisation en 1868 et qui sont désormais les alliés des Français. Á 17 heures, un détachement militaire commandé par le commandant de Maussion part pour le poste de Gouaro où ils passeront la nuit. L’expédition comprend cinquante soldats d’infanterie de marine et 40 auxiliaires.

Bealo Gony note que le 5 janvier, « Les rebelles postés sur les sommets voient arriver de loin le détachement qui se sépare en deux pour attaquer leurs ennemis par les lignes de crête avec un canon. Les pertes sont très lourdes. Les rebelles sont pris à revers et repoussés vers le fond de la vallée. Le Commandant aussi est touché. La nuit tombe et l’armée décide de se replier sur Gouaro ». De nombreux insurgés décèdent. 3 soldats sont décèdent, 6 auxiliaires sont tuée. Le soir venu, la troupe se replie sur le poste de Gouaro puis rentre à Bourail.

Le 11 janvier, le colonel Wendling, prend le commandement d’une nouvelle expédition qui arrive en fin d’après-midi au poste de Gouaro. Le 12 janvier ce sont près de 300 Européens accompagnés des auxiliaires Honrôés qui traversent les marais de Déva et arrivent à dix heures devant la vallée de Mouéara. L’obusier tire deux obus contre les rochers pour vérifier si les derniers défenseurs de la forteresse sont toujours là. Elle est vide car ils se sont enfuis dès le 5 janvier au soir avec leurs blessés vers Poya, laissant leurs morts derrière eux.

Le 5 février 1879 les tribus de Ouan-Ho, de Nessadiou et de Singuié viennent faire leur soumission devant le commandant Maussion. Dans l’enceinte de la chefferie Mjéno de Bouirou, le chef Téyé, échange son casse-tête contre l’épée de Maussion. Ce geste évita de nombreux morts et l’épée militaire est toujours conservée dans la famille Téyé.


@ cl. Bealo Gony, IANCP.

Tous les villages des Nekou : Néra, Petit Nekou, Grand Nekou, Nessadiou, Gouaro, Manifou, sont détruits et évacués, le chef Alibouro Pöö est décapité au fond de la « vallée à Charpentier ». Les survivants sont regroupés dans les tribus Honrôés ou déportés vers les Bélep et à l’île des Pins. L’étude archéologique menée entre 2005 et 2007 n’a apporté « aucune indication matérielle des combats qui ont secoué la vallée Tabou en janvier 1879. Les abris de fortune construits par les familles kanak en fuite n’ont laissé aucune trace et les douilles des fusils ont depuis longtemps été enfouies ».

Peu après, l’administration coloniale intègre les terres confisquées au domaine pénitentiaire tout en vendant 16000 hectares de la région de Gouaro Déva à Gratien Brun. Cette propriété d’élevage comprend tous les sites des combats du Cap Goulvain.

Le phare de Gouaro.

Duchet, le « pacha » du Cyclope, décrit en 1872 les conditions de mouillage au large de Bourail : « La baie de Bourail offre partout un bon ancrage, mais le mouillage du NO doit être préféré même dans la bonne saison. [… ] Mais dès qu’il a venté de l’Ouest au large, il se forme une houle qui rend impraticable l’entrée de la rivière. [… ] Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’un navire qui reste à l’ancre devant l’entrée de la rivière peut, à un moment donné, s’y trouver en perdition si le vent vient à souffler du SSO à l’OSO avec la force d’un coup de vent. [… ] Du mois de novembre à celui d’avril, même sans parler des cyclones [ ] on a à redouter les bourrasques beaucoup moins rares qui peuvent venir de la partie de l’Ouest et qui se terminent généralement au S 0 »

Comme le dit le site internet de la commune de Bourail : « Situé au dessus du belvédère de Bourail. L’accès par la mer a longtemps été le seul moyen possible pour arriver au centre pénitencier. Un phare a donc été construit. Les feux facilitaient l’entrée dans la baie. Le phare possède un accès extérieur à la lanterne et un système de récupération des eaux de pluie. La vue y est très belle ».

Á ce jour, le seul document que nous ayons trouvé sur le phare de Gouaro à proprement parlé consiste dans l’ouvrage anonyme intitulé : Phares et signaux de brume. Série K. Océan Pacifique Ouest, à jour à la date du 1er janvier 1933, Imprimerie nationale, Paris, 1933. On y trouve les informations suivantes sur le phare de Bourail : « Position géographique approchée : Alignement du chenal ; 2120 Feu antérieur : côte Nord, au fond du port 21°37’S – 165°27’E ; Caractère : Fixe rouge, ; Hauteur du foyer au dessus de la P.M. : 43 ; Portée : 10 ; Description : montants en fer ; 2121 Feu postérieur : A 300 mètres et 16° du précédent. Caractère : Fixe blanc, ; Hauteur du foyer au dessus de la P.M. : 72 ; Portée : 10 ; 2122 Rivière Néra – entrée Sud ; côté Nord ; Caractère : Fixe vert ; Hauteur du foyer au dessus de la P.M. : 2 ; Portée : 4 ;Description : Cabanon. Visible de 73° à 128° (55°) sur le mouillage »

Aujourd’hui, Bourail peut s’enorgueillir de posséder le seul «Beach break » (spot de plage) de Nouvelle-Calédonie. Au fil du temps, ce site privilégié est devenu le berceau du surf Calédonien, animé par une communauté de passionnés attachés à la préservation de leur environnement. C’est une longue histoire d’amour, depuis que les pionniers (les soldats américains pendant la dernière guerre mondiale) avaient fait de la plage de la roche Percée, leur site privilégié pour se détendre et pratiquer le « body board » sur des bouées gonflables….puis à leurs demandes et celles des jeunes de l’époque, le menuisier du village Monsieur Maurel fabriqua quelques planches, bien cirées, pour glisser sur les vagues de la plage.

Dans les années 1980 les inondations toujours plus fortes, entrainent la création d’un spot naturel grâce à l’arrachement d’une partie de la plage et donne à la plage un vrai spot de surf. Ainsi le Gouaro Surf Club est créé, accompagné peu après de l’Association Calédonienne de Glisse. Tous attendent la réalisation d’un spot « artificiel » sur la plage du bonhomme, pour pérenniser le site et atténuer les fortes houles pour la protection de la plage.

Frédéric Angleviel

Bibliographie succincte

Lagarde Louis, Christophe Sand et Malia Terebo, 2013,  Le passé de Deva. Archéologie d’un domaine provincial calédonien, Institut d’Archéologie de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique, Nouméa, 80 p.

Dalmayrac Dany, 2008, La mémoire des anciens. La forteresse de Mouéara, texte numérique, np

Saussol Alain, 2003, « Á propos du site de la vallée de Mouéara et des combats du Cap Goulvain en janvier 1978 en Nouvelle-Calédonie » dans Journal de la société des Océanistes, N°117, Paris, p 317-324.

Cornet Claude, 2003, « Le site de Mouéara » dans Journal de la Société des Océanistes, N° 117, Paris, p 325-328.

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Saussol Alain, 1979, L’Héritage, Société des Océanistes, Paris, 498 p.

Guiart Jean, 2008, Les pays canaques anciens de La Foa à Moindou, Bourail et Kouaoua, Le Rocher-à-la-voile, Nouméa, 168 p.